Interview : Faut-il étendre le télétravail à 2 jours par semaine ?

Une présence de 3 jours par semaine au bureau permet-elle une bonne marche de l’entreprise et une collaboration fructueuse des salariés ? Pour les métiers accessibles en remote, ces deux dernières années nous permettent de répondre par l’affirmative dans la majorité des cas. Plus qu’une habitude, le télétravail est devenu une nouvelle norme de travail, mais surtout un levier d’attractivité pour les entreprises. Anaïs Schouver, Senior Consultant HR chez Badenoch + Clark Luxembourg s’est prêtée à l’exercice de l’interview et nous parle de ce qui a considérablement rebattu les cartes dans le domaine du recrutement : le télétravail.

Anaïs Schouver, quelle est la position des candidats que vous recevez en entretien par rapport au télétravail ?

De nos jours, la question du télétravail est en effet évoquée à chaque processus de recrutement, soit parce qu’il s’agit d’un droit que veut conserver le candidat, soit en raison de la localisation du futur employeur. Compte tenu d’une mobilité de plus en plus compliquée, un frontalier belge ou français sera aujourd’hui nettement moins enclin à accepter un poste au Kirchberg qu’un frontalier allemand. Le constat est inverse pour la Cloche d’Or. Aujourd’hui, 100% des candidats frontaliers nous interrogent directement sur la localisation de l’entreprise, les politiques de télétravail et de flexitime et déclinent parfois pour ces raisons.

Nous ne pouvons dès lors que saluer la démarche de Monsieur Xavier Paluszkiewicz, ancien Député de Meurthe-et-Moselle, en vue de permettre aux frontaliers de télétravailler 2 jours par semaine sans perdre leur affiliation à la sécurité sociale luxembourgeoise. C’est un sujet important car cela a un impact direct sur le bénéfice des allocations familiales luxembourgeoises et la retraite, outre un réajustement des montants de cotisations patronales et salariales. Néanmoins, nul ne sait si et quand cela aboutira. En outre, la problématique liée à l’impact fiscal restera entière.

Ces deux dernières années ont démontré que télétravail partiel et qualité étaient compatibles. Pensez-vous que les employeurs soient prêts à faire du travail en remote une généralité ?

Cette tendance est en effet avérée pour la majorité des fonctions qui le permettent. Car n’oublions pas que les fonctions « on site » dans les métiers du BTP, de la production, du retail et d’autres encore, ne peuvent bénéficier de cette souplesse de travail en Remote. Pour les autres métiers plus enclins à travailler à distance, il y a actuellement une réelle demande de télétravail de la part des employés. Les entreprises n’auront malheureusement pas d’autre choix que de s’adapter, si elles espèrent attirer des talents dans leurs équipes. Nous avons d’ailleurs actuellement de plus en plus de candidats qui refusent des opportunités professionnelles du fait d’un manque de flexibilité possible de la part de l’employeur.

Qu’est-ce qu’une politique de télétravail avantageuse pour les salariés ? 

La mise en place d’une politique de télétravail a été, et est toujours, un réel casse-tête pour les DRH, et tout spécialement au Luxembourg du fait de nombreux salariés frontaliers. L’objectif majeur de la mise en place de ces politiques est dans un premier temps de pouvoir répondre à la demande des équipes. Notons, dans un second temps, que les entreprises y ont vu un intérêt également du fait :

  • d’une optimisation du temps de travail des équipes,
  • d’un équilibre plus adapté (quête de bien-être),
  • de coûts de transport moins élevés (carburant),
  • d’une optimisation des espaces immobiliers (réduction de 20% en moyenne),
  • de la possibilité de recruter des collaborateurs à une distance plus lointaine avec des contrats dans des pays différents.

Pour qu’une politique de télétravail soit avantageuse pour un salarié, il est nécessaire que le salarié lui-même puisse choisir son mode de travail, avec la meilleure flexibilité possible (sans imposer un nombre de jours précis). Aller dans le sens de la confiance mutuelle devrait être la base dans ces politiques RH.

Si les grandes entreprises investissaient dans des bureaux près des frontières, les salariés seraient-ils plus enclins à reprendre le travail en présentiel ?

C’est évident. Moins de transports, tout en ayant une proximité avec des collaborateurs, et un cadre de travail qui permet une meilleure concentration qu’à la maison ! C’est exactement ce que demandent les employés à ce jour à hauteur de 2 ou 3 jours par semaine.

Pensez-vous que la fin de l’accord sur le télétravail va être à l’origine d’une vague de démissions ? Avez-vous constaté une augmentation du nombre de candidatures ?  

Malheureusement, nous sommes déjà dans un contexte dans lequel la fin de cet accord sur le télétravail commence à nuire aux recrutements et à la rétention des équipes. Une personne vivant à Metz, commence à privilégier une opportunité professionnelle à Paris, avec la possibilité de travailler 4 jours par semaine en télétravail et 1 jour à Paris (55 minutes de train). C’est donc une tendance existante et qui va s’accroître. Nous avons actuellement une décroissance des candidatures à Luxembourg, liée au coût de la vie qui augmente et à une gymnastique intellectuelle complexe sur les sujets de la logistique, la fiscalité, la sécurité sociale et le télétravail. De plus en plus de candidats se désistent en cours de processus du fait d’un avantage réel et sérieux qui diminue en comparaison avec d’autres pays / destinations.

À lire : Le Luxembourg s’apprête-t-il à affronter une vague de grande démission ?

L’ambiance au travail a longtemps été une cause de rétention du personnel. Que s’est-il passé pour que le lien social entre collègues ne suffise pas à redonner envie de retourner au bureau ?

Depuis cette période 2020 / 2021, nous constatons une réelle individualisation des attentes des employés. En résumé, les personnes sont davantage individualistes, voire égoïstes dans leurs attentes professionnelles. « Mon équilibre, Ma performance, Ma carrière, Mon bien-être » vont être privilégiés à « La performance collective, une excellente entente d’une équipe… ». Nous avons à la fois eu un changement accéléré des comportements au travail, mais nous avons également une jeune génération beaucoup plus centrée sur elle-même. Cette addition ne facilite pas les démarches collaboratives et collégiales.

Parlons également de la posture managériale. Désormais, les managers sont réticents à imposer le mode de travail à leurs équipes, du fait d’une crainte de démission et de non-adéquation à ce mode de travail. C’est une tendance perçue dans plusieurs secteurs et entreprises en Europe.

Nous remercions Anaïs Schouver et Stanislas Dutreil du Cabinet Badenoch + Clark, membre de la fr2s, pour sa contribution à cette publication.

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