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Faut-il avoir peur du recrutement 3.0 ?

Aujourd’hui nous voyons apparaître de nouveaux acteurs sur le marché du recrutement qui sont de véritables pure-players de l’intérim digital. Doivent-ils être perçus comme une menace pour les cabinets « classiques » ou bien au contraire être envisagés comme des solutions complémentaires ? Y-a-t-il véritablement un risque d’ubérisation du recrutement ? Que faut-il penser des nouvelles pratiques promptes à recruter « autrement » des candidats qualifiés ? Comment les cabinets classiques doivent-ils se transformer pour attirer de nouveaux talents ?
Autant de questions qui permettent de brosser ce que pourrait être le recrutement du futur du point de vue des professionnels du secteur, avec ses mutations, avantages mais aussi menaces, notamment en termes de données personnelles.

Acteurs du recrutement digital vs cabinets traditionnels

Aussi bien en termes de postes proposés que de contexte de recrutement, les sociétés d’intérim digital sont positionnées sur un autre marché que celui des cabinets de recrutement. Pour les acteurs du recrutement « traditionnel », elles peuvent être considérées comme étant un moyen supplémentaire plutôt qu’un moyen complémentaire. Notamment de par leur approche très « volumique ». Ceci dit, elles sont aussi un exemple à suivre du point de vue de la modernisation des pratiques parfois trop conventionnelles du secteur, car elles sont pleinement en phase avec les évolutions des méthodes de travail au quotidien. Quel que soit leur positionnement sectoriel, en termes de métier ou encore de zone géographique, les cabinets de recrutement se doivent aujourd’hui d’être innovants. L’usage des plateformes digitales via des outils de screening et de sélection est un atout réel pour promouvoir des processus plus souples et rapides. Les outils digitaux s’immiscent dans les processus de sélection et démontrent leur valeur ajoutée, mais à ce jour, l’analyse comportementale et la réflexion autour des choix de carrière demeurent déterminants et se font par le prisme de l’humain. Le risque d’ «ubérisation » demeure cependant bien réel si les décideurs opérationnels et les DRH se basent sur le prix, le volume et l’automatisation du processus de recrutement. Ceci dit, il faut envisager ce phénomène avec toute la connotation négative que cela représente tant pour le service que pour le client : moins de garanties, moins de confiance et pas de relation commerciale durable. Phénomène qui au fond n’est pas nouveau, puisque les services intermédiaires existaient déjà bien avant ces plateformes.

Faut-il s’adapter aux modes de vie des Millenials ?

Pour s’adapter aux Millenials qui arrivent actuellement sur le marché de l’emploi, on voit de nouvelles pratiques se mettre en place. On assiste notamment à la disparition des CV et lettres de motivation, à la mise en avant des soft skills, jusqu’à une forme de gamification du recrutement avec du job-dating, speed dating, social recruiting…

Les Millenials imposent déjà leur mode de vie en exigeant du télétravail, des temps de travail réduits pour pouvoir poursuivre des passions ou interrompent tout simplement leur parcours pour voyager.  Ils restent cependant très ambitieux et élitistes et utilisent les réseaux sociaux pour s’informer et pas forcément pour postuler.  On a par ailleurs vu augmenter le succès des coaches de vie et des coaches dans plusieurs professions, ce qui démontre leur envie d’être accompagnés par un professionnel pour la gestion des décisions importantes dans leur vie.

Comment faire évoluer les méthodes de recrutement

Dans ce contexte et face à ces tendances disruptives, notre position est assez réservée. Ces différentes approches telles que les job-datings et speed-datings sont davantage adaptées à une population d’employés non qualifiés et à une population de jeunes diplômés ayant acquis une première expérience professionnelle. Le CV pourra prendre d’autres formes mais au final toute entreprise qui recrute souhaite disposer d’informations tangibles et objectives sur ses futures recrues. En effet ce sont des éléments qui permettent d’appréhender beaucoup d’une candidature et du sérieux du candidat. Présenter des candidatures écrites est fondamental et reflète les compétences écrites, la capacité à synthétiser ainsi que les qualités rédactionnelles.

Quant à la mise en avant des soft skills, cela n’a rien de révolutionnaire, elle est présente depuis fort longtemps. Les outils d’analyse comportementale se vulgarisent sur le marché mais ceux-ci bien sont en place depuis des années voire des décennies, c’est plutôt leur usage qui évolue en permanence. Se baser sur un profil via des soft skills et non un CV permet des réorientations, et pour les candidats ayant des parcours plus variés de ne pas être jugés pour des choix de vie ou professionnels, ce qui peut parfaitement convenir pour certains postes. 

D’autres rôles techniquement plus pointus resteront exigeants sur la formation et la mise en pratique (l’expérience) de cette formation.

Vers un recrutement centré candidat ?

Même si les nouveaux comportements digitaux induisent des adaptations en matière de recrutement, un candidat intéressé par une opportunité se pliera au processus de recrutement de la société pour laquelle il postule. Cependant, pour les cabinets, il se peut en effet que les entretiens se fassent de plus en plus en visioconférence. La crise sanitaire a en effet donné lieu à de nouvelles habitudes de travail à domicile et de nombreuses sociétés ont donc réduit leurs espaces de bureaux. De fait elles ne disposent plus forcément de salles de réunion pour recevoir les candidats. L’idée peut être aussi de sortir complètement du cadre « strict » et parfois « intimidant » du recrutement actuel. Les entretiens pourraient se faire dans un cadre plus détendu et relèveraient davantage de la discussion pour apprendre à connaître l’autre, comme cela peut se faire parfois, mais encore de façon marginale, autour d’un verre.

Ce sont certes les générations qui font évoluer les métiers, mais également les pratiques du secteur qui se nourrissent les unes des autres. Aujourd’hui les attentes des candidats, leurs motivations, leur réactivité ou encore leur manque de fiabilité incitent les professionnels du secteur à changer leur relation avec eux. Mais il leur est, de fait, nécessaire de travailler avec des candidats que l’on sait en réelle recherche et en réelle attente de changement professionnel.

Par-delà ces changements d’ordre technologique ou contextuel, il faut avoir à l’esprit que la qualité de la relation, la confidentialité, la pertinence des informations échangées entre un recruteur et un candidat restent au cœur du processus. Nombreux sont les candidats, et ceci toutes générations confondues, qui accordent de l’importance au relationnel avec le prestataire en recrutement. Cette relation de confiance est l’élément clef, cela peut paraitre banal mais c’est une réalité. Le candidat recherche avant tout un interlocuteur qui l’écoute et le conseille.

Et l’IA dans tout ça ?

L’Intelligence Artificielle est un concept qui se concrétise de plus en plus et qui permettra aux décideurs RH de mixer les data acquises pour donner naissance à des profils-types.  Il en existe pourtant un risque et une contrainte :

Le risque réside dans une possibilité de clonages de profils non complémentaires et non suffisamment différents. Car la richesse d’une équipe est justement basée sur la différence des personnalités et de parcours professionnels des équipes. Aujourd’hui, nous sommes capables, en fonction de nos rencontres avec une multitude de personnalités et de profils, de se dire que certaines compétences sont transposables d’un poste à un autre, même si celui-ci n’a pas le même intitulé. Nous sommes capables d’axer nos recherches en fonctions de nos connaissances du poste et du client, nos recherches ne se ressemblent quasiment jamais, même pour des postes égaux.

L’écueil des données personnelles

La contrainte sera liée au RGPD. Comment pourrons-nous exploiter de la data de personnes physiques, alors même que la tendance va vers une protection des données personnelles ? À terme, chacun sera libre de partager et diffuser ses informations personnelles, et il est fort probable que la majorité refuse de plus en plus de rendre accessible ces informations. Par ailleurs, ce sujet dépasse le contexte Européen, les viviers de candidats étant en Asie pour certains de nos recrutements. Deux personnes avec un même CV ne sont pas des candidats identiques.  L’IA pourra donner des tendances mais ne considérera qu’une partie limitée de la population – celle qui accepte d’être traitée comme un numéro et pas comme un individu – et ne pourra jamais étudier toutes les subtilités qui font d’une personne celle qu’elle est.

Nous voyons déjà aujourd’hui des sociétés faisant appel à de tels outils pour commencer leur procédure de sélection.  Non seulement leur image en est fortement endommagée, mais le succès de leurs recrutement reflété par le taux de rotation du personnel en est également très négativement impacté. Reste à imaginer que cette IA deviendra de plus en plus fine et permettra réellement d’engager un processus de sélection efficace, qui n’exclura pas l’intervention et les compétences d’un recruteur physique pour le choix final.

En conclusion

Il faut envisager la transformation digitale du recrutement comme une hybridation raisonnée du processus, combinant, avec éthique et intelligence, la rapidité et l’efficacité de la data dans la phase de sourcing et de sélection, avec le savoir-faire purement humain du recruteur qui saura saisir toutes les subtilités du candidat. Car à compétences égales, la personnalité, les valeurs et le parcours d’un candidat sont des éléments déterminants dans son recrutement final. Nos métiers sont avant tout reliés à l’humain, à des carrières qui sont autant de destins et d’existences propres qui nécessitent des règles éthiques et un encadrement assez strict à des fins d’éviter toute dérive que l’IA ou certaines pratiques innovantes pourraient causer.

Remerciements à Annie Burton, Manager Banking & Financial Services @ Badenoch +Clark Luxembourg, Stanislas Dutreil, Managing director @ Badenoch + Clark Luxembourg, Manon Farid, Lead Consultant Expert @ Select Luxembourg, Nicolas Hurlin, Associé @ The Recruiter Luxembourg, Muriel Newton, Consultante en recrutement @Greenfield Luxembourg, Nadine Van Laar, Managing Consultant @ Greenfield Luxembourg.

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